Echecs aux cuves Mory et au Central téléphonique
rideau
bitat

Le petit Belouizdad sait que son plan d'attaque des pétroles Mory est parfait. Bitat le lui a fait savoir. Il a aussi grande confiance dans son équipe. Les pétroles Mory se trouvent rue de Digne, sur les quais du port. Vastes hangars et cuves astiquées. Belouizdad veut faire exploser un petit réservoir qui contient 8 000 tonnes d'essence. Si cette cuve explose, les 30 000 tonnes du dépôt doivent ensuite flamber, endommageant la centrale électrique du port, l'arrière-port et les quais sillonnés de pipe-lines. Il faudra faire vite car les entrepôts sont étroitement surveillés par les gardiens de nuit mais surtout par le service de sécurité.
Belouizdad, qui est de loin le plus intelligent des chefs de commando de Bouadjadj, a voulu mettre tous les atouts de son côté. Il ne veut pas se servir d'un véhicule appartenant à un homme de son équipe ou à un proche. Comme dans les hold-up, on se servira d'une voiture volée. Il a repéré une Juva­quatre Renault qui tous les jours stationne à la même place rue Marey. A minuit il s'est installé au volant. Ben Guesmia, Ben Slimane et Herti l'ont poussé en silence pour que le démarrage n'alerte pas un éventuel propriétaire à l'oreille sensible. Puis, boulevard de l'Amiral-Guépratte, ils ont embarqué Aïssa. Avant de monter en voiture celui-ci a pris les deux bombes explosives et la bombe incendiaire dissimulées dans un camion abandonné.
Dans la voiture, Aïssa sort la MAT qu'il tenait serrée contre sa poitrine.Belouizdad a un pistolet 9 mm. Les autres n'ont qu'un simple poignard.

La Juvaquatre a gagné tranquillement les quais. A 0 h 50, Belouizdad et ses hommes sortent de la Renault. Chacun connaît parfaitement le rôle qu'il doit jouer. Aïssa reste près de la voiture et couvre de sa mitraillette l'enfilade de la rue pour l'instant déserte. Ben Guesmia et Belouizdad grimpent sur le mur. Belouizdad saute de l'autre côté. Ben Sli­mane passe les bombes.
Le point de franchissement de l'enceinte a été soigneusement choisi. Belouizdad est à pied d'oeuvre. Devant lui s'élève la citerne aux 8 000 tonnes d'essence. Le chef du commando passe la main sur l'acier de la cuve. Du solide, bien épais. Trop épais. Il a peur que la bombe ne soit pas suffisamment puissante. A quelque cinquante mètres de l'autre côté du réservoir les fenêtres d'un bâtiment sont éclairées : le service de sécurité. Belouizdad se hisse sur la margelle entourant la cuve, place ses deux bombes explosives, branche la bombe incendiaire. Un coup d'oeil à sa montre. 1 heure. La même flamme sert à allumer les trois mèches. Belouizdad se laisse tomber de la cuve et bondit vers le mur. Le commando se précipite vers la Juva­quatre qui démarre. La première explosion, suivie de deux autres, les surprend.
A 1 h 30 la Juvaquatre est à nouveau à son parking habituel rue Marey. Son propriétaire ne saura jamais que sa voiture a « participé » à l'insurrection du 1er novembre !

Deux hommes avancent sur l'esplanade du Champ­de-Manoeuvre. L'un a refermé frileusement sa veste sur sa poitrine, col relevé malgré le temps exceptionnellement doux. L'autre tient avec précaution un couffin de chanvre. Sous la veste de Bisker Ahmed il y a une mitraillette, crosse repliée, dans le couffin de Mesbah deux bombes. On ne peut pas dire que Bisker remplisse sa mission avec un enthousiasme débordant. Il était plus de 22 heures lorsqu'il s'est décidé à contacter les hommes de son commando alors que les ordres étaient de le faire vers 20 heures au plus tard. Ce n'est qu'à minuit que Bisker, après maintes allées et venues, a réussi à récupérer trois hommes. Ils ont à peine eu le temps de passer chez Bisker prendre trois bombes et la mitraillette, leur seule arme, qu'il était presque l'heure d'agir.
0 h 5. Les quatre hommes se sont retrouvés. Bisker est silencieux et se dirige à pas lents vers le central téléphonique. Deux de ses hommes profitent de cet instant de répit et de la proximité de l'urinoir pour soulager une vessie que l'angoisse contracte singulièrement.
Bisker coupe par les jardins, passe devant la grande bâtisse néo-grecque du Foyer civique où les gosses vont s'entraîner à la boxe. Le central se trouve à gauche. Bâtiment ocre de quatre étages. Les fenêtres du rez-de-chaussée surélevé sont solidement grillagées et barrées de fer. Une double grille à deux battants ouvre sur un petit chemin intérieur. C'est par cet immeuble que transitent toutes les communications d'Alger. Comme pour tous les centres de télécommunications, l'accès de celui d'Alger est interdit au public. Bisker imagine que l'intérieur de ce cerveau d'Alger est bien gardé. Il n'a nulle envie, malgré l'absence de gardes, de fracturer la serrure de la porte grillagée. Les bombes sur le rebord de la fenêtre ça ira bien ! D'ailleurs Bisker regarde sa montre. Il n'a plus le temps de faire autre chose. Il s'apprête à rejoindre ses hommes lorsqu'il entend trois explosions qui viennent du port tout proche. Belouizdad a été plus rapide. Affolé, Bisker prend ses jambes à son cou, passe devant l'urinoir de la rue de Lyon.
Quant à Nabti Sadek, le cinquième chef de commando d'Alger, dont l'objectif est de détruire le dépôt de liège de Borgeaud, à Hussein-Dey, au-dessus d'Alger, il s'est senti si mal dès que Merzougui lui a appris l'heure H que ce soir du 31 octobre il a jugé qu'il était plus sage pour sa santé de ne point quitter sa chambre...

la juvaquatre
alger pendant la guerre d'algerie
anecdote
accueil
Accueil
La Toussaint rouge